A l’occasion de notre deuxième Petit-déjeuner scientifique de l’année 2021, Romuald Normand est intervenu sur le thème « De Boston à Singapour, voyage dans les cultures du leadership scolaire ». Nous verrons alors comment les organisations scolaires sont dirigées aux Etats-Unis, en Finlande, en Nouvelle-Zélande, à Singapour et comment cette direction évolue en fonction des critères éthiques et sociaux.
Romuald Normand est professeur à l'Université de Strasbourg, Faculté des sciences sociales. Il travaille sur la comparaison internationale des systèmes éducatifs et des politiques d’éducation, les transformations de l'organisation scolaire et les enjeux de leadership.
Il est chercheur associé à l'Institut des Hautes Etudes en Education et Formation, à l'Université Normale de Pékin, et l'Université d'Aarhus-Copenhague. Il publiera dans quelques semaines un ouvrage The cultural and social foundations of educational leadership Normand R., Moos, L. LIU M, Tulowitzski P. (eds).
Ce livre identifie les fondements culturels et moraux de la direction scolaire dans différents pays et présente les principes de justice comme la diversité des biens communs qui guident les pratiques de leadership. Il contribue à un domaine de recherche existant sur la diversité sociale et le leadership éthique dans les écoles et les établissements scolaires. L'ouvrage rassemble les contributions d'une série d'auteurs internationaux capables de rendre compte des caractéristiques morales et culturelles du leadership scolaire, tout en élargissant les perspectives de recherche sur la direction scolaire.
Qu’entend-t-on par leadership ?
Cette notion est née aux Etats-Unis. Cela fait référence à la capacité du directeur d’établissement à mobiliser son équipe d’enseignants. Un premier mouvement de recherche nommé « School effectiveness » (la recherche sur l’efficacité de l’école) est apparu et s’est aujourd’hui internationalisé. Un deuxième mouvement de recherche, celui du « School improvement » a étudié les mécanismes qui permettaient de conduire le changement d’une organisation scolaire de manière durable en mobilisant toute la communauté éducative toujours dans un but d’améliorer la réussite des élèves. Ces recherches ont souligné l’importance du travail en équipe sur les résultats des élèves mais aussi de l’accompagnement des enseignants par des experts les aidant à réfléchir sur leurs pratiques (dans un cycle d’apprentissage continu ou « développement professionnel continu »). Les recherches sur le leadership sont venues accompagner l’ensemble de ces travaux.
Les premières études sur le leadership se sont centrées sur l’analyse des pratiques des chefs d’établissement dans l’observation des situations de classe avec un rôle de conseiller pédagogique pour les enseignants (« leadership instructionnel » que l’on tend à appeler aujourd’hui en France le « leadership pédagogique »). Progressivement, les rôles des enseignants se sont transformés ; le leadership a alors pris un autre tournant celui du « leadership partagé » c’est-à-dire la façon dont une équipe de direction partage des responsabilités avec les enseignants. Certains enseignants vont ainsi être mieux reconnus dans la conduite d’un projet, dans les interactions avec les parents, dans la prise d’initiatives et le développement d’innovations… Dans ce prolongement, on a vu apparaitre le « leadership transactionnel » qui caractérisait le travail de négociation du chef d’établissement avec les enseignants pour leur confier des tâches et des responsabilités en échange d’une certaine reconnaissance symbolique et financière de leur travail.
Au fur et à mesure, des transformations ont été opérées au sein des établissements scolaires et des écoles ; le leadership est devenu « transformationel ». L’organisation scolaire se dirige aujourd’hui d’une manière distribuée au sens où l’établissement (ou l’école) est organisée en différents espaces autonomes qui favorisent la prise d’initiative, la créativité et l’innovation. Le chef d’établissement (ou le directeur d’école) ne se contente pas d’une vue d’ensemble de son établissement (ou de son école) mais il doit faire confiance à l’équipe enseignante au regard d’un l’emploi du temps qui se redéfini au gré des besoins des élèves tels qu’ils sont identifiés selon leur démarche cognitive. Au-delà du « leadership distribué », les chercheurs se sont rendus compte que la réussite des élèves reposait aussi sur un travail en réseaux des établissements et des écoles. Les ressources, les pratiques et l’expérience pouvaient être ainsi partagées. Certains chefs d’établissement sont aujourd’hui amenés à diriger plusieurs établissements en même temps en s’assurant qu’ils se développent dans une même dynamique de transformation et de partage. Des chercheurs ont théorisé ce fonctionnement en le qualifiant de « leadership systémique ».
Les transformations scolaires encouragées par le leadership
Au cours des 30 dernières années, les théories du leadership ont accompagné les transformations de l’organisation scolaire. Ces changements sont effectifs, on peut le voir notamment dans le système éducatif de Singapour qui est très avancé en ce domaine : travail en réseau, suppression de l’unité « classe », activités pédagogiques définies en lien avec les progrès des élèves, usage d’une diversité de ressources et particulièrement des technologies digitales. Cela passe aussi par une qualification de haut niveau des enseignants, notamment dans leur connaissance de la recherche et des démarches d’innovation.
En Finlande, des centres éducatifs se développent rassemblant l’enseignement maternelle, primaire et secondaire mais aussi l’éducation des adultes. Ils abritent des équipes multi-professionnelles au croisement des services éducatifs, sociaux et de santé. Les enseignants sont non seulement des éducateurs (ils doivent détenir les compétences sociales et psychologiques nécessaires pour bien prendre en charge les élèves dans un travail de « care ») mais sont aussi des leaders ; on parle alors de « leadership éducatif ».
La situation aux Etats-Unis est quant à elle plus difficile à caractériser. Il peut ainsi exister des écoles très innovantes, même dans les quartiers les plus défavorisés, et des écoles beaucoup plus traditionnelles. La très grande diversité du système éducatif américain, où se côtoie le meilleur et le pire, en fait une véritable mosaïque d’initiatives et d’innovations où l’Etat, notamment fédéral, joue un faible rôle, en raison de l’autonomie locale très forte des écoles et des districts.
Le leadership, un processus d’influence…
Depuis plusieurs années, la communauté scientifique internationale s’intéresse à la dimension sociale et culturelle du leadership scolaire. Elle s’accorde à dire que le leadership est un processus d’influence qui est intentionnel, exercé par une personne ou par un groupe sur une autre personne ou sur un autre groupe afin de structurer les activités ou les relations dans une organisation. Le leadership remplace peu à peu la notion d’autorité dans la direction des établissements scolaires, laquelle renvoie à des positions hiérarchiques assez formelles (ce qui est assez présent encore en France). Les enseignants peuvent être des leaders au même titre que les membres de l’équipe de direction. La dimension intentionnelle veut dire que la personne cherche à exercer une influence par son leadership pour atteindre certains objectifs : faire réussir les élèves, améliorer le climat scolaire, dialoguer avec les parents, développer l’innovation et la créativité.
…lié aux valeurs
Par ailleurs, le leadership est de plus en plus relié aux valeurs. En effet, les valeurs personnelles et professionnelles des chefs d’établissement ou des directeurs d’école semble jouer un rôle important dans la dynamique de l’organisation et dans la réussite des élèves. Pour une meilleure acceptation du changement, il est préférable que les enseignants s’approprient les valeurs communes de l’équipe de direction. Ces valeurs peuvent aussi nourrir des initiatives et prises de responsabilités. La vision portée par le chef d’établissement ou le directeur d’école est considéré comme une composante importante de l’efficacité de son travail. De plus, sa posture morale, la façon dont il entre en interaction avec ses équipes est essentielle. Dans la littérature de recherche, on parle de leadership « éthique », « authentique » ou encore « spirituel ». La confiance est également primordiale au sein de la communauté éducative pour pouvoir créer une dynamique de changement. Le chef d’établissement (ou le directeur d’école) peut alors transformer l’établissement scolaire (ou l’école) en une communauté d’apprentissage professionnel où les enseignants réfléchissent collectivement à ce qu’ils apprennent ensemble, à leurs pratiques et aux modalités de collaboration induisant des changements dans l’organisation pédagogique.
Les attentes en termes de pratiques professionnelles d’un chef d’établissement en Australie
L’Australie fournit un bon exemple des nouvelles compétences attendues en matière de leadership par les directions scolaires. Le cadre de référence reconnaît l’importance du leadership pédagogique et du leadership transformationnel, mais aussi les dimensions sociales (se développer soi et les autres, engager et travailler avec la communauté) comme les exigences éthiques (promouvoir une vision et des valeurs comme l’intégrité, l’équité, mais aussi l’empathie, la reconnaissance, le respect, etc.)
Tableau extrait du Powerpoint de Romuald Normand
Tableau extrait du Powerpoint de Romuald Normand
La place de la justice et de la diversité des biens communs dans l’élaboration d’un leadership
Comme cherche à le montrer le livre coordonné par Romuald Normand et ses collègues, la justice sociale et la diversité des biens communs guident les pratiques de leadership dans les établissements scolaires et dans les écoles. Pour ces chercheurs, la dimension sociale est au cœur du leadership : l’égalité, l’équité, l’inclusion sociale, la capacité des chefs d’établissement à être des leaders pour promouvoir le civisme, la coopération sociale, l’appréciation des autres, le juste équilibre entre liberté et devoir, la réciprocité des obligations, sont les conditions d’une éducation démocratique. Le vivre ensemble doit aussi respecter les différences ethniques et culturelles dans l’éducation plutôt que d’uniformiser les conditions d’enseignement dans des programmes scolaires nationaux. On pense aux dérives produites par les « tests standardisés » qui tendent à ignorer une certaine diversité et qui mettent trop souvent en échec les élèves les plus fragiles au nom d’une gestion par les résultats.
Tableau extrait du Powerpoint de Romuald Normand
Si l’on veut des organisations scolaires au service de la réussite des élèves, tout en reconnaissant la diversité des principes de justice dans l’éducation, comme dans le reste de la société, il est nécessaire d’avoir des leaders ou des compétences au leadership afin de mettre en place des politiques éducatives plus équitables en tenant compte des effets négatifs des politiques néolibérales (critiquées dans le livre). La recherche d’une obligation de résultats à outrance, comme le montre l’exemple des Etats-Unis, ou des approches purement instrumentales, ne donne pas suffisamment de place à la dimension humaine et sociale des organisations scolaires.
Cela soulève une question essentielle : comment promouvoir des compétences sociales (pensée critique, créativité, communication, collaboration) et civiques (égalité, coopération, respect, civisme) pour assurer une responsabilité collective dans l’amélioration des organisations scolaires sans les orienter dans des régimes trop instrumentaux de la performance et de l’efficacité ?
En quelques mots…
Les valeurs, l’orientation morale des chefs d’établissement, directeurs d’école ou des enseignants, comme la confiance, la considération, l’estime de soi et des autres, le sens de la justice, l’intérêt public, la discipline, l’autonomie, le bien-être, sont essentielles pour que les décisions et les changements soient acceptés par la communauté éducative. Ces valeurs peuvent différer en fonction des cultures et des systèmes institutionnels de chaque pays. Aux Etats-Unis, les questions de classe, de race ou de genre structurent en partie les pratiques de leadership au sein des écoles. En Nouvelle-Zélande c’est plutôt un dualisme ethnique et culturel qui va expliquer le style de leadership adopté.
Les situations de coopération promue par les directions scolaires peuvent se justifier de manière différente en fonction des conceptions des biens communs d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis ou en Europe du Nord, on retrouve un sens de la communauté locale plus fort qu’en France et en Allemagne ; la référence à la tradition semble être beaucoup plus prononcée en Europe et en Asie qu’aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande.
Finalement, il est nécessaire de prendre en compte la diversité des conceptions morales et de la justice portées au sein de ces différents systèmes éducatifs pour mieux comprendre les dynamiques de leadership scolaire et leur mise en œuvre au sein des établissements scolaires et des écoles.
Intervention de Romuald Normand durant le Petit-déjeuner scientifique du 11 juin 2021 :
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