Dans le cadre du projet « Bridges over troubled waters », les élèves ont participé à différentes journées thématiques centrées sur la notion de valeur. Au cours de l’une de ces journées, ils se sont intéressés aux valeurs véhiculées par la publicité ainsi qu’à la façon dont la publicité utilise, détourne ou pervertit nos valeurs afin de mieux nous faire consommer. Ils se sont ensuite essayés à créer eux-mêmes leurs propres supports de publicité afin de mieux comprendre les ressorts utilisés par les pubs et la façon dont elles jouent avec nos valeurs, amorçant ainsi une réflexion sur la valeur que l’on accorde à nos valeurs.
JOURNÉE PÉDAGOGIQUE #2 — « Analyse d’une publicité : quel écho avec vos valeurs ? »
En guise d’introduction à cette journée, une récente campagne d’affichage de la compagnie Uber a été présentée aux élèves et décryptée avec l’aide des enseignants.
Cette campagne, lancée afin de promouvoir l’initiative de la compagnie Uber de passer à plus de 50 % de VTC électriques disponibles, nous interroge directement sur nos valeurs et la façon dont nous composons avec ces valeurs au quotidien. Quelle est la vraie raison qui se cache derrière nos choix d’achat ? Dissimulons-nous quelque chose de « coupable » ou de moins avouable – payer moins cher – sous couvert d’une action valorisante ou responsable – préserver l’environnement – et plus en adéquation avec les valeurs que nous défendons ? Quelle est la sincérité de nos engagements et comment celle-ci est-elle mise à l’épreuve par les publicités ?
À travers une série de questions et d’échanges de points de vue, les élèves ont cherché à comprendre la nature du message que nous adresse Uber et la façon dont cette campagne de publicité joue avec nos valeurs pour mieux faire passer son message : choisissez Uber car c’est moins cher ! En particulier, l’absence d’image a été remarquée. Le fait de ne proposer qu’un (court !) texte permet à la fois de ne pas imposer de visuel particulier pour incarner ces valeurs – chacun est libre de s’imaginer ce qu’il souhaite – et de se concentrer sur la confrontation de valeurs ici mise en exergue. Deux raisons sont données pour justifier l’injonction à choisir Uber pour ses déplacements. La première de ces raisons exprime une certaine prise de conscience de l’urgence écologique mais également un souci de son image personnelle et de sa réputation. Ceci interroge le lecteur sur la sincérité de son engagement pour l’écologie et celui-ci est invité à ne pas se voiler la face en admettant que la raison qui lui fait choisir Uber c’est le prix. Cette dynamique est renforcée par le code couleur utilisé, le vert rappelant l’argument écologique, la neutralité du blanc suggérant une absence d’engagement véritable.
La question qui se pose alors est de savoir quelle est la force de cette publicité, ce qui lui permet d’être efficace pour nous vendre et vanter les services d’Uber. Le ressort utilisé est celui de l’humour (superficialité des premières raisons données) dans le but implicite de discréditer ceux qui chercheraient à faire culpabiliser les utilisateurs d’Uber. On a ici un exemple de dissonance cognitive c’est-à-dire une opposition ou une contradiction entre deux valeurs. D’un côté le souci écologique, de l’autre le souci pécuniaire semblent inconciliables mais Uber a/est la solution. Ainsi, grâce à Uber, il est possible de consommer sans modération, sans pour autant culpabiliser pour l’environnement ni craindre le jugement des autres. En poussant la réflexion un peu plus loin on en arriverait à se dire que c’est une bonne chose et qu’on fait du bien à la planète en utilisant les services d’Uber. Cette publicité crée donc un désir d’acheter qui est un désir libre de toute culpabilité et très avantageux - triple répétition du slogan « parce que c’est moins cher ». On finit par comprendre que le message (subliminal ?) de cette publicité est que notre pouvoir d’achat est ou devrait être notre seule préoccupation - Uber s’occupe du reste ! - et, vue sous cet angle, cette campagne de publicité possède un fort caractère cynique. Peu importe la morale, seul compte le plaisir de consommer.
Se pose alors la question du public visé par cette publicité. Il s’agit bien entendu d’un public citadin principalement et la publicité cherche à en convaincre le plus grand nombre. En ironisant sur l’engagement supposé superficiel de certains pour l’écologie, qui n’y verront sans doute qu’une blague, la publicité cherche à atteindre d’autant mieux ceux que l’argument écologique n’atteint pas en martelant la « vraie » raison de choisir Uber : parce que c’est moins cher ! Ce qui est bien pratique pour éviter de communiquer sur l’impact écologique des voitures électriques et le fait qu’il n’existe pas d’énergie « propre ». Il a aussi été remarqué que cette publicité est en fait trois publicités en une, chacune de ces trois publicités visant un public différent. En guise d’exemple, Fabrice s’est plutôt reconnu, ou senti touché, par l’adresse aux bobos alors que c’est le fait de pouvoir tweeter qui a plus atteint les élèves.
La discussion autour de cette publicité s’est conclue par une dernière question concernant la ou les valeur(s) promue(nt) dans cette publicité. Les élèves ont tout d’abord identifié la liberté, comprise dans le sens d’offrir la possibilité matérielle d’exercer son droit à circuler. Parce que cette offre de service s’adresse au plus grand nombre, elle fait preuve et promeut l’équité. Enfin, les élèves y ont vu une forme de solidarité car l’engagement écologique se fait autant pour soi-même et son confort de vie, que pour les autres et leurs conforts de vie.
Après cette longue et riche introduction, les élèves ont été invités à réfléchir sur les publicités qu’ils avaient collectées préalablement à la séance. Ils devaient venir avec une photo de trois publicités chacun, tous supports confondus, et structurer leur réflexion en trois temps : (I) la publicité qui me conforte le plus dans mes préjugés / habitudes / valeurs ; (II) la publicité qui me bouscule / m’indigne / me révolte le plus ; (III) la publicité par laquelle je ne me sens pas concerné, que je ne comprends pas ou qui ne me questionne pas. Cette séquence a été l’occasion de nombreuses discussions riches et variées entre les différents participants, chacun étant curieux de découvrir et partager les publicités amenées ainsi que le fruit de toutes ces réflexions individuelles et en petits groupes. Ceci nous a ramené à l’activité de réflexion suivie par les élèves lors de la première journée et ils se sont alors demandé comment les publicités s’appuient sur des valeurs, nos valeurs, pour mettre en évidence les meilleurs aspects d’un produit.
La matinée s’est achevée sur une dernière activité durant laquelle les élèves ont créé et réalisé leur propre affiche publicitaire vantant les mérites d’un produit de leur choix. Répartis en trois groupes, ils ont alors commencé par chercher quel produit vendre et à quel public, afin de déterminer les valeurs à inclure/promouvoir pour vendre leur produit. Ces affiches ont été réalisées sur Canva ou sur feuille au format A3 avec des feutres de couleurs.
Après une matinée aussi bien remplie, tout le monde fut heureux lorsque l’heure de la pause déjeuner arriva. Chacun put alors satisfaire ses désirs de consommateurs en se laissant séduire par les sirènes de la société de consommation. 😉
Une fois tout le monde rassasié nous étions prêts pour aborder la deuxième partie de cette journée. Après l’effort vient le réconfort, dit-on, aussi avons-nous consacré l’après-midi à regarder des vidéos. Nous avons commencé par visionner des publicités des années 80. Les élèves ont été surpris par certaines de ces publicités, que ce soit par le discours employé ou par les valeurs véhiculées ou utilisées pour toucher le consommateur cible. Cela a particulièrement été le cas de la série de publicités automobiles et le rapport à la virilité qu’elles proposent. Les élèves, tout comme les adultes, ont pu se rendre compte à quel point les mentalités avaient changé en trente ans. Lors d’une deuxième série, les élèves se sont régalés devant des publicités pour des pâtes. Cette série a été l’occasion de s'interroger sur les moyens utilisés par les publicités pour créer le désir d’acheter, l’histoire qu’elles nous racontent afin de mettre en scène leurs valeurs et leur produit et ainsi mieux nous séduire.
Le visionnage de ces publicités nous a permis de nous rendre compte que la publicité est omniprésente dans nos vies et qu’elle fait partie intégrante de notre culture. Certains slogans publicitaires sont passés dans le langage courant (« pas de bras, pas de chocolat » ou « c’est pas Versailles ici ! ») et la Nuit des Publivores en est à sa quarante-deuxième édition ! Ce constat nous a amenés à nous intéresser aux parodies de publicités. Ces parodies sont intéressantes car, en détournant des publicités bien connues, en poussant leur logique jusqu’au bout, elles nous montrent et nous permettent de mieux comprendre comment les publicités jouent avec nos valeurs et les détournent. Nous avons alors visionné quelques-unes de ces fausses publicités réalisées par Les Nuls et par Les Inconnus. Il a été amusant de voir comment la caricature et l’exagération sont utilisées par ces fausses publicités pour mieux en démonter les mécanismes. Ceci nous a permis de revenir sur les différents points de discussions abordés au cours de la journée.
La journée s’est achevée par une dernière activité. Les élèves ont formé à nouveau les groupes du matin et afin de réaliser une fausse publicité parodiant celle qu’ils avaient créée le matin. Le travail fut un peu plus difficile pour l’un des trois groupes qui, le matin, avait choisi de vanter les mérites d’un produit totalement imaginaire au travers d’une publicité qui était en elle-même une parodie de publicité. Ils s’en sont néanmoins très bien sortis et on réussit à détourner ce qu’ils avaient, en quelque sorte, déjà détourné. Les deux autres groupes se sont aussi beaucoup amusés à détourner leur publicité en affichant un cynisme surprenant, mais très divertissant.
Une courte discussion est venue rappeler les principales réflexions de la journée durant laquelle tous ont mené un profond travail de réflexion et ont beaucoup appris sur eux-mêmes et la société dans laquelle nous vivons.
Fabrice Barbier, enseignant de mathématiques
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