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Les jeunes sont-ils de plus en plus vulnérables ?

Dernière mise à jour : 24 août 2023

Si depuis la crise sanitaire, de nombreuses études en France et dans le monde, ont montré une dégradation de la santé mentale des adolescents et jeunes adultes, l’augmentation de la prévalence de troubles mentaux chez cette population a pourtant commencé dès le début des années 2010.



Le présent texte résume un article de John Haidt, & Greg Lukianoff, intitulé The Coddling of the American Mind paru dans la revue The Atlantic en 2015.


Comment expliquer que de nos jours de si nombreux jeunes se perçoivent comme vulnérables et considèrent que la société a le devoir de les protéger contre les idées ou paroles blessantes ? Comment expliquer ce phénomène de ‘cancel culture’ ou culture du bannissement ?


Avec leur article The Coddling of the American Mind, le psychologue John Haidt et le militant et journaliste Greg Lukianoff ont proposé dès 2015 un début d’explication.

À l’époque, Lukianoff avait réussi à se sortir d’une longue dépression grâce à une une thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Les TCC reposent notamment sur une méthodologie consistant à reconnaître les différentes distorsions cognitives ou biais cognitifs, c’est-à-dire des schémas de pensées négatives qui conduisent à percevoir la réalité de manière inexacte et influencent la vision du monde d'un individu, induisant un cercle continuel de souffrance. Il existe plus d’une douzaine de biais cognitifs, tels que l’abstraction sélective, la surgénéralisation ou encore le raisonnement émotionnel, qui nuisent à la pensée rationnelle et que les TCC ciblent pour apprendre à les déconstruire.

Alors quel lien entre les TCC et la ‘cancel culture’ ?


Selon Lukianoff, la ‘cancel culture’ agirait comme une sorte de procédé négatif des TCC, à l’inverse de ces dernières, en fixant des biais cognitifs.

À sa grande surprise, Lukianoff a commencé à observer à partir de 2013 que c’était justement certaines de ces distorsions cognitives (les mêmes que sa thérapie lui avait appris à neutraliser) qui étaient à l’œuvre dans le développement de cet appel nouveau à bannir des personnes, des propos, des œuvres ou encore des idées. Les jeunes semblaient en être venus à croire qu’ils étaient si fragiles que des livres, des mots pouvaient les blesser si puissamment et irrévocablement qu’il fallait les ‘annuler’ ou les ´éliminer’.


Ainsi, Lukianoff remarquait que leurs émotions mais surtout leurs angoisses semblaient les guider et qu’une vision manichéenne de la société leur faisait se représenter cette dernière comme constituée de victimes et d’oppresseurs avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre, avec ceux qui pensent bien et ceux qui pensent mal. Par exemple, les étudiants considéraient leurs sentiments comme des preuves (biais cognitif relevant du raisonnement émotionnel) justifiant ainsi la demande de retrait d’un texte. Haidt et Lukianoff en sont alors arrivés à la conclusion que ces différentes distorsions cognitives avaient abouti à une pensée rigidifiée, inflexible à la réflexion et à la contradiction. Ils ont dès lors présumé que si leurs collègues universitaires apportaient du crédit à ces distorsions cognitives pernicieuses, plutôt que de les combattre en donnant à leurs étudiants des outils pour penser de façon critique, cela conduirait inexorablement à une hausse des dépressions chez les jeunes.


Dix ans plus tard, nous ne pouvons que constater qu’ils avaient raison. Il semblerait que ces différents biais cognitifs aient effectivement rendu les étudiants plus anxieux et déprimés. L’analyse de données issues du Pew Research Center montrent que tous les jeunes ne sont pas affectés de la même manière : le genre et les opinions politiques constituent deux variables particulièrement saillantes. En particulier, les jeunes femmes libérales les ont adoptés plus que tout autre groupe. L’une des explications proposées est leur utilisation plus intensive des réseaux sociaux et une appartenance plus forte à des communautés en ligne. Chez ces jeunes femmes, cela a eu comme effet d’accentuer les symptômes de dépression et d’anxiété.


Comme Haidt et Lukianoff l’avaient craint, dans les années qui ont suivi, de nombreuses universités et institutions ont soutenu des programmes qui adoptaient ces contre-vérités. En acceptant certaines demandes d’annulation d’invitation de chercheurs plutôt que d’y voir des opportunités d’échange, ou encore en adhérant à la censure de certains termes, ces universités ont contribué à ce que l’expression d’une pensée complexe, nuancée, ait parfois du mal à se faire entendre. Or si la censure de certains termes n’abolit hélas pas réellement les rapports de dominations ou les discriminations, elle contribue bien à renforcer le sentiment d’impuissance des jeunes, leur donnant à penser qu’ils vivent dans un environnement néfaste qu’ils ne peuvent qu’affronter quand le rejetant.


De telles mesures, loin d’améliorer la situation, semblent avoir conforté les étudiants dans l’idée qu’ils étaient vulnérables et se sont accompagnées d’une aggravation de leur santé mentale.


La lecture de l’article de 2015 de Haidt et Lukianoff, même s’il ne permet certainement pas d’embrasser toute la complexité de la ‘cancel culture’, reste un point de départ informé par la recherche pour mieux comprendre pourquoi aujourd’hui les débats tendent à se polariser.

L’éducation peut offrir aux jeunes des clés pour débattre, défendre leurs idées et leurs droits. Elle est un levier puissant pour l’affirmation de soi et les dispositifs éducatifs devraient toujours être abordés sous l’angle du plein épanouissement du pouvoir d’agir. L’empowerment articule deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder.Miser sur l’éducation, c’est faire le choix de proposer aux jeunes un environnement favorable à leur épanouissement et développer leur résilience afin de leur permettre de faire face aux nombreux défis auxquels ils sont confrontés.


 

Une table ronde se tiendra le mercredi 7 juin à 16h, à l’EHESS - École des hautes études en sciences sociales, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris.


Lost in translation - Enseigner et apprendre en contextes multiculturels / Teaching and learning in multicultural contexts


– Juliette Hanrot (autrice, professeur agrégée d’histoire) – Dinaw Mengestu (écrivain, John D. and Catherine T. MacArthur Professor of the Humanities, Bard College) – Christophe Prochasson (historien, directeur d’étude à l’EHESS) – Modération : Pascale Haag (psychologue, maîtresse de conférences à l’EHESS)





Dans des sociétés de plus en plus multiculturelles et diverses, répondre à l’hétérogénéité croissante des élèves constitue un défi quotidien pour les enseignants et enseignantes, que ce soit à l'école primaire, au collège, au lycée ou à l’université.

À l’heure où l’enseignement de l’histoire fait l’objet de multiples controverses, où certains mots jugés offensants sont exclus de l’usage à l’école ou à l’université, où des textes littéraires font l’objet de réécritures pour ménager la sensibilité des lecteurs, tandis que d’autres sont purement et simplement bannis, comment permettre aux systèmes éducatifs de remplir pleinement leur rôle, en formant les élèves à la réflexion et au jugement critique, afin de leur permettre de devenir des citoyens éclairés, outillés pour faire face aux défis sociaux, culturels politiques, économiques, technologiques ou climatiques qui les attendent ? Dans le cadre de cette table ronde, nous nous proposons de réfléchir tout particulièrement à la place du langage et aux facteurs qui permettent de créer des espaces d’apprentissages inclusifs, prenant en considération la diversité sous toutes ses formes – cultures, langues, religions, orientations sexuelles, identités de genre, statuts socio-économiques, etc. – afin de favoriser la réussite de tous les élèves et de permettre à chacun et chacune de trouver sa place dans la société.


La table ronde est ouverte à tous dans la mesure des places disponibles. Le nombre de places étant limité, l’inscription est obligatoire sur ce lien :



Synthèse réalisée par Marine Alleaume Jayaratnam

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