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Journée d’étude : Émotions, arts, compétences du XXIe siècle et démocratie à l’école

20 juin 2022

École des hautes études en sciences sociales

54 boulevard Raspail

75006 Paris


Jusqu’à une date récente, la question des émotions a été relativement peu prise en compte dans les programmes scolaires français. Les programmes de 2002 et de 2008 s’y intéressent principalement en référence aux domaines du langage, de l’expression corporelle et de l’expression artistique. À partir de 2015, les programmes témoignent d’une évolution notable dans la prise en compte des émotions de l’enfant et soulignent la nécessité de favoriser, dans le cadre scolaire, le développement de « la capacité des enfants à identifier, exprimer verbalement leurs émotions et leurs sentiments ». L’enseignant est invité à « tenir compte des dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’action éducative » et à veiller « au bien-être et à la construction de l’estime de soi » (Cuisinier, 2016).


Plus largement, l’association entre des compétences transversales, « non académiques » (Duru-Bellat, 2015) des élèves – parfois également nommées soft skills, compétences comportementales, compétences socio-émotionnelles, compétences sociales, civiques et critiques, ou compétences du xxie siècle –, et les performances scolaires font l’objet d’un nombre croissant de recherches (Smithers et al., 2018 ; Malet, 2021). Les définitions des compétences socio-émotionnelles sont susceptibles de varier selon les contextes et il n’en existe pas de liste close, mais un consensus s’établit sur le fait que ces compétences correspondent à « la capacité d’une personne à faire face efficacement aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne (...), à maintenir un état de bien-être mental et à le démontrer au travers d’un comportement adaptatif et positif lors de ses interactions avec les autres, sa culture et son environnement » (Encinar, Tessier & Shankland, 2017). L’OCDE (2021) les définit comme un « sous-ensemble des capacités, des attributs et des caractéristiques d’un individu qui sont importants pour sa réussite et son fonctionnement social ».


Les compétences socio-émotionnelles telles que l’attention, la capacité à réguler ses émotions, la coopération, l’empathie ou la persévérance sont non seulement positivement associées à la réussite à l’école (Gutman et al., 2010 ; Morlaix, 2015 ; Vignoles et Meschi, 2010), mais aussi au bien-être individuel et social (MacCann et al., 2020). Une méta-analyse portant sur plus de 700 études réalisée par l’Education Endowment Fundation (EEF) montre ainsi que l’enseignement des compétences socio-émotionnelles (Social and Emotional Learning, SEL) en classe a un effet positif sur la réussite scolaire équivalent à un gain de quatre mois en moyenne par rapport à une classe où ces compétences ne sont pas explicitement enseignées (van Poortvliet et al., 2019).


La prise de conscience du rôle déterminant des compétences socio-émotionnelles dans la réussite scolaire conduit les enseignants et les responsables politiques à accorder à leur développement une attention plus importante que par le passé. L’institution scolaire a en effet non seulement un rôle essentiel à jouer dans le développement des compétences socio-émotionnelles d’un individu (Ata, 2019 ; Flanagan, Cumsille, Gill, & Gallay, 2007), mais peut également contribuer à réduire les inégalités, aussi bien en matière de réussite scolaire que d’engagement civique, l’un et l’autre étant étroitement dépendants du statut socio-économique des familles (Kahne & Sporte, 2008).


L’OCDE a mené une enquête sur les compétences sociales et émotionnelles des élèves de 10 à 15 ans. Il s’agit de l’une des premières collectes de données à l’échelle internationale auprès des élèves, des parents et des enseignants sur ce thème. Le rapport publié en septembre 2021 (OCDE, 2021), qui présente les premiers résultats de cette étude, souligne la nécessité que les systèmes éducatifs adoptent une approche holistique du développement des élèves, qui ne se focalise pas uniquement sur les apprentissages disciplinaires comme les mathématiques, la lecture ou la culture scientifique, mais s’attache également à développer des compétences essentielles pour que les élèves puissent réussir à l’école et ultérieurement, dans leur vie professionnelle, et participer pleinement à la société en tant que citoyens actifs.


Dans un monde aux prises avec des problèmes environnementaux et sociaux auxquels les solutions actuelles ne permettent pas – ou plus – de répondre, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour appeler à explorer les moyens d’élargir le champ des possibles plutôt que de se contenter de reproduire le possible existant (Chave, 2021). Afin de donner aux élèves, les citoyens de demain, les moyens de relever ces défis complexes, l’éducation se doit également de promouvoir le développement de compétences transversales telles que la pensée critique, l’imagination de scénarios futurs et la prise de décisions en collaboration (Ata, 2019), dans le respect de l'altérité et des différences entre les individus, le respect de la vérité et des faits scientifiques et, enfin, le respect de la planète (Malet, 2021).


Les auteurs du rapport cité plus haut (OCDE, 2021) notent que la capacité des citoyens à s’adapter, à faire preuve d’ingéniosité, à respecter les autres et à assumer des responsabilités personnelles et collectives est caractéristique d’une société qui fonctionne bien. Ils rappellent également que la coopération, l’empathie et la tolérance sont essentielles pour que les citoyens et les nations puissent atteindre les objectifs de développement durable, et pour contribuer efficacement à la mise en place d’institutions démocratiques (p. 11). Même si, selon eux, « le paysage actuel suggère que le chemin à parcourir pour atteindre ces objectifs est encore long… » (p. 47).


Et en effet, dès la fin du xixe siècle et tout au long du xxe siècle, des pédagogues tels que John Dewey, Célestin Freinet ou Paolo Freire se sont attachés, chacun dans leur contexte, à faire de la classe et de l’école des « micro-sociétés » et des lieux d’émancipation, où les valeurs démocratiques sont partagées, enseignées et mises en œuvre. Leurs apports conservent aujourd’hui toute leur pertinence, mais force est de constater que, si l’idée de promouvoir la démocratie à l’école semble largement partagée, ce que le concept désigne en réalité n’est pas toujours clairement défini, ainsi que le souligne Rancière (Rancière et Hazan, 2009) : « depuis que le mot existe, s’il y a consensus, c’est sur l’idée que “démocratie” veut dire des choses différentes et opposées ».


C’est en partant de ce constat que Feu et al. (2017) se sont attachés à élaborer un cadre théorique pour analyser les pratiques démocratiques à l’école. Après avoir fait observer que les propositions élaborées à partir de la sphère éducative n’ont généralement que peu de rapport avec le débat philosophique, politique et sociologique actuel sur la démocratie, les auteurs proposent de retenir quatre dimensions :

  • la gouvernance – une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté du pouvoir politique réside dans les citoyens et dans laquelle, par conséquent, des structures de participation et de prise de décision libre et éclairée sont établies et organisées ;

  • l’habitabilité (inhabitance) – la gouvernance démocratique ne suffit pas à elle seule à garantir le « vivre ensemble », qui nécessite des conditions de vie décentes, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels ;

  • l’altérité (otherness) – les deux premières dimension s’accompagnent du besoin de reconnaissance des différences et d’acceptation mutuelle entre les humains, mais aussi de la protection de la planète, donnant naissance à des revendications et à l’élaboration de droits, notamment le droit à l’autodétermination, à la différence et à la paix, le droit à un environnement préservé, sain et durable non seulement pour les contemporains, mais aussi pour les générations futures ;

  • l’ethos – la manière d’être au monde, de vivre dans le monde des individus et des collectifs est indissociable des trois précédentes dimensions : sans valeurs, vertus et humanisme, gouvernance, habitabilité et altérité ne peuvent s’articuler.

Même en admettant que la définition de la démocratie puisse faire l’objet d’un consensus, mettre en œuvre des « pratiques démocratiques » en classe et promouvoir les compétences socio-émotionnelles ne va pas de soi : les enseignants se disent souvent démunis, à la fois en raison des insuffisances au niveau de la formation initiale ou continue et de la difficulté à intégrer le développement de ces compétences dans des programmes scolaires déjà surchargés (Wigelsworth et al., 2020).


L’une des pistes possibles pour remédier à ce problème consiste à intégrer à chaque fois que c’est possible un enseignement explicite de ces compétences dans les apprentissages fondamentaux. Le rapport réalisé par van Poortvliet et al. (2019) pour l’EEF préconise en particulier un enseignement explicite des compétences socio-émotionnelles intégré dans les enseignements quotidiens, qui peut être enrichi par des projets menés à l’échelle de l’école tout entière ; l’importance de l’ethos – la manière d’être – et de la modélisation – le fait que l’enseignant mette en œuvre, devant des élèves qui l’observent, un acte, une démarche, un processus ou une stratégie d’apprentissage tout en verbalisant à voix haute sa réflexion, dans le but que ces derniers se l’approprient et le réinvestissent (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013) – est également soulignée, tout comme la nécessité d’une planification soigneuse des interventions.


Dans cette perspective, l’équipe de la Lab School Paris s’est engagée cette année dans l’exploration d’une telle intégration quotidienne, en cherchant à concilier au mieux l’acquisition des connaissances et des compétences du socle commun et le développement des compétences socio-émotionnelles, en particulier la confiance en soi, la collaboration entre les élèves, la créativité et l’esprit critique. Il s’agit également de développer le respect mutuel, l’écoute et l’accueil des différences, pour permettre à chacun et chacune de trouver sa place dans le groupe et de s’épanouir en donnant du sens aux apprentissages.


Ce projet prend comme point de départ le corpus des Fables de La Fontaine. Il est mené de concert avec la Compagnie Faenza, dont l’une des créations s’appuie précisément sur les Fables de La Fontaine. Les séquences pédagogiques élaborées dans ce cadre seront documentées par les enseignant·es et des kits pédagogiques seront mis à disposition à la fin du projet.


Il s’articule avec une recherche-action menée conjointement tout au long de l’année 2021-2022 par des professionnels de l’éducation de la Lab School Paris ou d’ailleurs et par des chercheurs en psychologie, sociologie et sciences de l’éducation associés au Lab School Network. Cette dernière s’inscrit dans le cadre du projet européen Erasmus+ LabSchoolsEurope – Participatory research for democratic education, qui associe l’EHESS et la Lab School Paris à quatre autres lab schools européennes. La problématique en est la suivante : « Comment développer des compétences transversales et socio-émotionnelles en les intégrant dans le programme des enseignements disciplinaires afin de favoriser la démocratie à l’école ? »


À l’issue des quatre rencontres qui se dérouleront au cours de l’année scolaire, une restitution publique des premiers résultats est prévue le 20 juin 2022. Elle se déroulera en deux temps :


  1. une journée d’étude à l’EHESS avec des conférences et tables rondes destinées à croiser le point de vue des chercheurs et celui des praticiens

  2. un spectacle de restitution au Théâtre de l’Atelier par les élèves de la Lab School Paris du projet de l’année, spectacle qu’ils auront monté intégralement (conception, décors, costumes, musique, communication, etc.)



Programme à venir !



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