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Les Petites bulles d’oxygène : recherche-action participative du Lab School Network

Updated: Nov 24, 2021

Compte rendu de la première séance


La première séance de la recherche-action participative menée dans le cadre des « Petites bulles d’oxygène » s’est tenue le mercredi 6 octobre 2021. Elle est centrée cette année sur les compétences socio-émotionnelles (ci-après, abrégées en CSE), en lien avec un groupe de travail du projet Erasmus+ LabSchoolsEurope – Participatory research for democratic education. La problématique en est la suivante : « Comment développer des compétences transversales et socio-émotionnelles en les intégrant dans le programme des enseignements disciplinaires afin de favoriser la démocratie à l’école ? »


Depuis 2015, les programmes scolaires témoignent d’une évolution notable dans la prise en compte des émotions de l’enfant et la nécessité d’accompagner le développement de leurs compétences socio-émotionnelles. En effet, ces dernières sont non seulement positivement associées à la réussite à l’école, mais aussi au bien-être individuel et social. Cependant, les enseignants se disent souvent démunis lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les prescriptions des programmes relative aux émotions et aux CSE, à la fois en raison des insuffisances au niveau de la formation initiale ou continue et de la difficulté à intégrer le développement de ces compétences dans des programmes scolaires déjà surchargés (Wigelsworth et al., 2020).


La rencontre réunissait une douzaine de participants – membres de l’équipe de la Lab School Paris, ainsi que des enseignants et des jeunes chercheurs intéressés par la thématique. Elle s’est ouverte sur une courte intervention de cadrage de Pascale Haag (chercheure à l’EHESS, laboratoire BONHEURS, LSN), qui coordonne cette recherche. Elle s’est déroulée en trois temps : une présentation d’éléments théoriques issus de la recherche sur un aspect de la thématique, suivie d’un temps d’échange et de partage d’expérience en petits groupes, et enfin, une mise en commun de la synthèse de chaque groupe.



Évoquant l’importance d’un environnement favorable aux apprentissages, Pascale a d’abord rappelé brièvement l’importance de la prise en compte de trois « besoins psychologiques fondamentaux » mis en évidence par les chercheurs Edward Deci et Richard Ryan dans leur Théorie de l’auto-détermination – les besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale –, dont la satisfaction est liée positivement aux indicateurs de développement scolaire, émotionnel et social chez les enfants, ainsi qu’avec leur bien-être.


Elle s’est ensuite attachée à donner une première définition du terme « démocratie » à l’école et de l’expression « éducation démocratique », un terme consensuel souvent employé sans définition préalable, comme s’il allait de soi, et sans forcément avoir une idée très claire de ce qu’il recouvre ! Afin de pallier cette lacune, Pascale prend appui sur les travaux menés par des chercheurs espagnols qui cherchent à élaborer un cadre théorique pour analyser les pratiques dites « démocratiques » à l’école.


Après avoir fait observer que les propositions élaborées à partir de la sphère éducative n’ont généralement que peu de rapport avec le débat philosophique, politique et sociologique actuel sur la démocratie, les auteurs proposent de retenir quatre dimensions :

  • la gouvernance – une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté du pouvoir politique réside dans les citoyens et dans laquelle, par conséquent, des structures de participation et de prise de décision libre et éclairée sont établies et organisées ;

  • l’habitabilité (inhabitance) – la gouvernance démocratique ne suffit pas à elle seule à garantir le « vivre ensemble », qui nécessite des conditions de vie décentes, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels ;

  • l’altérité (otherness) – les deux premières dimension s’accompagnent du besoin de reconnaissance des différences et d’acceptation mutuelle entre les humains, mais aussi de la protection de la planète, donnant naissance à des revendications et à l’élaboration de droits, notamment le droit à l'autodétermination, à la différence et à la paix, le droit à un environnement préservé, sain et durable non seulement pour les contemporains, mais aussi pour les générations futures ;

  • l’ethos – la manière d’être au monde, de vivre dans le monde des individus et des collectifs est indissociable des trois précédentes dimensions : sans valeurs, vertus et humanisme, gouvernance, habitabilité et altérité ne peuvent s’articuler.


Un tour de table permet mettre en lumière certains des éléments-clefs retenus par les participants concernant la manière dont cette conception de la démocratie peut se traduire à l’école : une éducation où les besoins fondamentaux seraient satisfaits / une préparation à l’avenir / un apprentissage des responsabilités / des décisions / un rôle pour chaque enfant / des élèves actifs / de l’échange et du partage au sein de l’école.


La démocratie ne va cependant pas de soi, n’est pas innée : elle s’apprend. Et c’est justement l’un des rôles de l’enseignant d’accompagner les élèves dans l’intégration de ces différentes dimensions : leur donner les moyens de prendre des décisions libres et éclairées, de connaître et de faire respecter leurs droits et ceux des autres et d’acquérir les valeurs et l’ethos qui permettent le « vivre ensemble ». Une « éducation démocratique » au sens où l’entend notre groupe de travail ne vise pas, par conséquent, à abolir totalement les asymétries entre enfants et adultes, entre élèves et enseignants, dans le contexte pédagogique, mais à accompagner le développement de l’enfant et sa quête d’autonomie pour lui permettre de devenir un citoyen éclairé.


L’un des objectifs du projet est d’affiner à partir de cette proposition notre propre définition de l’« éducation démocratique » au fur et à mesure des séances de l’année et de nos lectures ; le second objectif est d’expérimenter à partir d’un projet centré sur le corpus des Fables de la Fontaine différentes manières de favoriser le développement des élèves par rapport à ces dimensions.


Il s’agit d’un projet mené à l’échelle de l’ensemble de l’école tout au long de l’année, qui se conclura par la présentation d’un spectacle commun à tous les cycles. Au niveau des CSE, l’objectif est de mettre à profit ce projet de spectacle pour en explorer différentes facettes. Les Fables permettant aussi un travail sur la question des émotions, en les repérant implicitement et explicitement dans les textes, ou en les jouant en récitant/lisant des fables, par exemple.


Comment énonce-t-on et déclame-t-on les fables ? Pourquoi parler des animaux ? Quelle morale ? Est-ce que les animaux ont des émotions ? Qu’est-ce qui peut-être mis en place dans la classe pour développer les compétences socio-émotionnelles à partir des Fables de la Fontaine ?

Compte-rendu de l’atelier de discussion : la mise en place du projet éducatif des Fables de la Fontaine au sein du programme scolaire (année 2021/2022)


Les participants se sont ensuite divisés en groupes afin de discuter de la façon dont le projet éducatif commun à toute l’école prenait place au sein des cycles et domaines scolaires. Ce qui suit relate la discussion de Gabrielle, enseignante anglophone du cycle 2, Brendan, enseignant anglophone du cycle 3, Luvy, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Berkeley, Californie, Marine, enseignante francophone du cycle 2, et Anna, mastérante à l’EHESS.



Depuis l’année scolaire 2020-2021, la Lab School Paris choisit chaque année un grand thème qui permet de tisser des liens entre différentes disciplines du programme et de fédérer tous les élèves autour d’un même projet. Après un « tour du monde » l’an passé, l’idée de travailler sur l’intégration du développement des CSE dans les enseignements disciplinaires à partir des Fables de La Fontaine a été choisi lors du séminaire d’équipe en juillet 2021, sur une proposition de Pascale, en s’inspirant du spectacle de la compagnie Faenza « Et bien, chantez maintenant ! ». Ce projet a été bien reçu par les élèves, notamment par le cycle 2 (CP, CE1, CE2) qui adore étudier les animaux !



Au sein du cycle 2, les élèves ont pu, dans le domaine de la littérature, lire et écouter des fables en s’appuyant sur le bilinguisme de l’école (français-anglais), parfois en les comparant à des fables similaires provenant d’autres pays. Si les animaux ou l’époque diffèrent, la morale reste la même. Ils ont étudié ce qui caractérise le genre littéraire de la fable par l’évocation de Jean de la Fontaine mais aussi d’Esope et bientôt de Phèdre.



En ce qui concerne les sciences, l’histoire-géographie et l’éducation civique et morale (« Pour questionner le monde »), le cycle 2 a travaillé sur le vivant en abordant l’identification et les cycles de vies d’un insecte (un être vivant naît, grandit, meurt). Chaque période est consacrée à une espèce animale, la première, avant les vacances de la Toussaint, portait sur les insectes. Les élèves ont aussi travaillé sur la représentation animale à travers le temps. La classe a en parallèle eu l’occasion d’effectuer une sortie en forêt dans la Forêt de Fontainebleau. Une préparation à la géolocalisation avait eu lieu en amont par l’étude de la carte, de la ville, de la région et du département. Au niveau de l’éducation civique et morale, les élèves ont comparé les communautés humaines avec les communautés d’abeilles et de fourmis.



Les enseignants ont organisé un projet d’écriture de fables. Les élèves, divisés par petits groupes, ont écrit l’histoire de deux insectes ou de deux familles d’insectes, le but étant de se tourner vers la résolution d’un problème et l’apparition d’une morale. Ils ont également créé un bestiaire d’insectes imaginaires et fabriqué des marionnettes en lien avec ce projet d’écriture. Avant les vacances de la Toussaint, chaque groupe a prévu de présenter sa fable devant la classe par le biais d’un petit spectacle avec les marionnettes.

La diversité des talents et les aspirations de chacun seront prises en considération, notamment au niveau du spectacle annuel commun à l’école : par exemple si certains enfants ne veut pas monter sur scène, ils pourront contribuer à d’autres aspects de la préparation du spectacle (costumes, décors, affiches, invitations, etc.). Ce fonctionnement favorise la transdisciplinarité et la collaboration. Les professeurs ont remarqué au cours du projet d’écriture une vraie compréhension de la morale chez les élèves, ce travail a permis de travaille sur les temps du passé et du présent ainsi que sur la notion de rimes. Les fables ont permis aux enfants de découvrir du vocabulaire, la classe a réalisé un « grand mur de mots » en insistant sur le bilinguisme.




Les élèves ont également écouté de la musique inspirée des insectes ou encore des sons des animaux de la forêt et regardé le film Minuscule : la Vallée des fourmis perdues (Szabo Thomas, Giraud Hélène, 2014). Durant la seconde période, les enfants travailleront sur les amphibiens et les poissons en se fondant sur les Machines de l’Île (espace d’exposition et d’animation situé à Nantes) notamment sur le « carrousel des octopus ».


Au cycle 3 (CM1, CM2, 6e), les Fables de La Fontaine furent introduites au début de l’année par un travail sur le vocabulaire ainsi que le schéma narratif – les notions de début, problème, solution, fin et morale – dans une fable. Le focus sur les animaux a amené à travailler sur le rôle des insectes dans le monde naturel, le travail est effectué en anglais et en français pour que ce soit accessible à tous les enfants.


Au cycle 4, en cours d’espagnol, les élèves ont appris du nouveau vocabulaire en travaillant sur la fable Le Lion et le Rat (livre II, 1668), l’objectif étant de travailler sur de plus longues fables quand le niveau sera plus avancé.

Toutes les classes ont également visité l’exposition « Gustave Moreau. Les Fables de La Fontaine – Œuvres préparatoires inédites » au musée Gustave Moreau (75009), une visite culturelle directement liée au projet annuel et donc à leur programme scolaire. Dans l’optique d’un projet de création les enfants, très motivés par cette visite, ont créé leurs propres œuvres d’art en utilisant des techniques similaires à celles de Moreau.



Le cycle 3 a également écouté de la musique basée sur les sons des animaux, notamment Le Carnaval des animaux (suite pour ensemble instrumental, Saint-Saëns Camille, 1886) qui a donné lieu à beaucoup d’interprétations en classe.

Le projet annuel va jusqu’à s’introduire dans les discussions de classe où les enfants peuvent discuter de l’origine et du rôle de la morale.


Ce groupe de discussion s’est terminé en considérant les modalités d’observation réflexive auxquelles un enseignant peut se livrer en classe. Luvy explique qu’aux États-Unis, la reflective observation n’est pas formelle, cependant certains enseignants l’effectuent de manière informelle. L’objectif de cette pratique est de s’assurer que les élèves comprennent le but de la leçon et la manière dont le professeur enseigne ou prévoit d’enseigner soit efficace dans le but d’« accomplir des tâches ». Une enseignante du cycle 2 explique qu’elle prévoit généralement un programme pour une période, puis, selon le comportement des enfants, ce dernier se retrouve remanié. Certains intérêts ou certaines réactions des élèves peuvent même faire émerger de nouvelles idées. Ainsi, la façon d’aborder un thème évolue constamment en pédagogie. Pour l’observation assessment, il faut apprendre à décrire ce que l’on voit en limitant la subjectivité, ce qui est difficile car il faut observer et évaluer les élèves en tant qu’enseignant. Aux États-Unis les observations descriptives sur les enfants se pratiquent beaucoup. Pour s’engager dans un système d’observation, il faut des lignes directrices basées notamment sur ce que l’on observe précisément. La mise en commun des observations et la réflexivité peuvent favoriser les pratiques démocratique en classe. Enfin, il est noté que le conseil des élèves y contribue également, car les élèves peuvent soumettre des propositions sur ce qu’ils souhaiteraient apprendre.




Bilan provisoire


Les enseignants s’accordent sur le fait que les enfants n’ont pas forcément les compétences collectives pour pouvoir agir ensemble, alors qu’individuellement ils sont « géniaux ». Il faut donc aussi apprendre à « faire ensemble ».

Par ailleurs, les actions qui visent à développer les CSE peuvent risquer d’accentuer encore les inégalités. Il est donc fondamental de s’assurer que tous les élèves en bénéficient, car parfois, les élèves qui retirent le plus grand profit des interventions sont ceux qui dont déjà mieux dotés ; c’est particulièrement notable dans le cas de la prise de parole en public : les élèves qui sont déjà à l’aise à l’oral ont tendance à prendre davantage la parole, et par conséquent, sont de plus en plus à l’aise. Il est important de veiller à ce que tous – en particulier les filles, qui tendent à prendre la parole moins fréquemment – aient la possibilité de s’exprimer.


La question qui se pose est alors : comment, en tant qu’enseignant·es, permettre aux élèves les plus vulnérables de bénéficier au maximum de tels projets et comment éviter d’accentuer encore les inégalités ?

D’autres questions sont explorées dans le cadre de cette recherche-action : comment le développement des compétences délibératives s’articule avec le matériau disciplinaire avec lequel on travaille ? À quel point peut-on extraire des compétences ou connaissances politiques des Fables ? comment est-ce que l’on analyse ou transforme la morale d’une fable dans la vie quotidienne du groupe ?


Afin d’illustrer la façon dont le genre de la fable peut être adapté à l’époque contemporaine, Irène Kmiec-Rousseau a eu la gentillesse de venir partager son expérience et a lu quelques fables dont elle est l’auteure, telles Le Pangolin et la Grande Roussette.


Cette séance se conclut en soulignant ce qui, dans le processus pédagogique de la Lab School, est le plus marquant : il est notamment relevé que ce fonctionnement pédagogique apprend à envisager toute la préparation des cours de manière transversale et intégrative. De plus les réunions pédagogiques, ainsi que la recherche menée dans le cadre des « Petites bulles d’oxygène », permettent une concertation pédagogique à l’échelle de toute l’école, en s’enrichissant également, dans ce dernier cadre, des échanges avec d’autres acteurs éducatifs. On note enfin que mener un projet à l’échelle de l’école permet d’apprendre aux élèves à s’ouvrir, en passant du « moi je » au collectif.


Parmi les idées qui ont émergé lors de cette séance pour aller plus loin, on retiendra celle de créer un « mur d’exposition des forces/ressources personnelles » de chacun à l’échelle de l’école : cela permettrait aux enfants qui manquent de confiance en eux de prendre conscience de leur potentiel et pourrait favoriser le sentiment d’appartenance. Enfin, pour renforcer la dimension démocratique, il serait intéressant de proposer aux élèves de participer au choix du prochain grand projet annuel, dont les thèmes ont été déterminés jusqu’ici par l’équipe éducative.


Les prochaines rencontres auront lieu de 14h à 16h :

  • mercredi 01/12/21

  • mercredi 23/03/22

  • mercredi 01/06/22


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